L’académicien Marc Lambron estime que l’écriture inclusive est un forçage aberrant de la grammaire et y voit le terreau d’une «pensée dictatoriale».
L’écrivain Marc Lambron, membre de l’Académie française depuis 2014, défend la liberté et la souplesse de la langue française, capable d’accueillir toutes les différences ; il dénonce «l’absolutisme navrant» de l’écriture inclusive. Le sexisme du français n’est pas tant un problème de structure que d’usage.
«Nous sommes en France, les empoignades sur le langage sont un bon signe de santé civique. Cependant, ce débat sur la féminisation de l’écriture relève de chicaneries assez basses de plafond. Si on entame une guerre de positions sur le genre en matière d’écriture, on n’en a pas fini. Par exemple, les hommes dont le métier est défini par un nom féminin, comme une estafette ou une ordonnance dans l’armée, pourraient s’alarmer et faire prévaloir le masculin au motif que leur dénomination est féminine et ne conviendrait pas à leurs fonctions viriles à moustache. La guerre du genre dans le langage peut vite tourner à l’absurde.
«Le français est une langue libre, hospitalière, qui a de l’allure. Elle respire. Elle a sa propre histoire, son jardin d’herbes folles. De nombreux écrivains, comme Stéphane Mallarmé, Raymond Roussel ou Antonin Artaud, se sont amusés à la triturer. Les surréalistes, Breton ou Aragon, écrivaient une langue limpide, ils n’ont pas commis d’attentat contre la grammaire. Cette langue n’a pas empêché non plus de nombreuses femmes de l’habiter, de Madame de La Fayette à Simone de Beauvoir. Elle n’a pas fait obstacle à l’intelligence du dialogue entre Emilie du Châtelet et Voltaire. Ce qui importe le plus est le message, et non la façon de le véhiculer. Le français est une langue suffisamment libre pour accueillir toutes les expressions. Pourquoi vouloir introduire avec l’écriture inclusive une police générale du langage ? Contrairement à ce que l’on pense, l’Académie française n’intervient pas pour codifier la langue, elle n’est pas une police, elle enregistre les évolutions liées à une époque. « Meuf » ou « kiffer » pourraient être dans le dictionnaire, ils n’y sont pas encore. L’écriture inclusive est, elle, une norme qu’on veut opposer à une autre norme. Un absolutisme navrant. Un avatar dégradé du déconstructivisme des années 70. Si Foucault ou Derrida déconstruisaient dans la subtilité, il s’agit là d’une pensée dictatoriale. Tout vocable devra comporter sa double nature, ce qui est une forme d’impérialisme, de grand redressement. Or si on redouble les genres, on enlève la singularité, ce qui définit une personne. Ce manque de singularité est une forme paradoxale d’uniformisation. Un basculement linguistique aberrant. L’écriture inclusive est un forçage absurde contre la grammaire elle-même, contre le sens de la langue.