Intervention d’Anne-Laure Boch, praticien hospitalier et neurochirurgien, lors de la grande manifestation « Marchons Enfants ! » du 6 octobre 2019, organisée par plus de 20 associations partenaires, contre la PMA sans Père et la GPA.
Seul le prononcé fait foi
J’interviens ici en tant que médecin, chirurgien des hôpitaux. Pour éclairer ma pratique professionnelle j’ai fait un peu de philosophie morale, de l’éthique médicale. Cet exercice intellectuel a profité, j’espère, aux réflexions que je veux partager avec vous.
Je veux d’abord dire mon effroi face à ce qu’on s’apprête à exiger de la médecine : sortir de son rôle thérapeutique pour se soumettre à des désirs individuels sans limite, quelles qu’en soient les conséquences sociales. La médecine deviendrait alors un simple prestataire de service technique, le prestataire des désirs. Pour paraphraser un slogan bien connu : « J’en ai rêvé, la médecine l’a fait ! ».
Certes le désir d’enfant est souvent très profond, très puissant. Mais cette force du désir ne justifie pas de passer outre nos obligations morales. Devenir riche est un désir légitime ; on n’autorise pas pour autant le vol. Faire carrière est un désir légitime ; mais pas au prix de magouilles pour se pousser en avant en écrasant les autres. Avoir un diplôme est un désir légitime ; on n’imagine pas pour autant légaliser, voire organiser, la triche aux examens pour permettre aux élèves paresseux de réussir quand même. Ce qui rend un désir légitime, ce sont avant tout les moyens qu’on emploie pour le réaliser… ou le scrupule vis-à-vis de moyens qu’on s’interdit d’employer, notamment par peur de blesser autrui. Avoir des scrupules, avoir une morale scrupuleuse : jusqu’à présent l’éthique faisait l’éloge de cette retenue dans la poursuite de notre intérêt personnel. Et voici que les valeurs sont inversées : il ne faut plus avoir de scrupules, il faut parait-il suivre ses désirs sans leur opposer de frein ! Comme on pouvait s’y attendre, les plus faibles font les frais de cette morale inversée, cette antimorale au service des plus forts.
Mettre la médecine en demeure de réaliser des désirs hors du cadre thérapeutique, c’est l’instrumentaliser et la détourner de sa mission : prendre soin des malades. La médecine a toujours été du côté des faibles, des handicapés, des personnes dépendantes. Or qu’est-ce qui est plus faible et dépendant qu’un enfant ? La médecine ne doit pas devenir la servante d’adultes enivrés de leur prétendus « droits à », en fabricant pour eux des enfants amputés d’une partie de leur filiation (aujourd’hui la filiation paternelle, et demain, avec la GPA, la filiation maternelle), des enfants qui sont des orphelins programmés.
Faire des orphelins programmés pour répondre aux exigences d’adultes en mal d’enfant, c’est ça la nouvelle mission de la médecine ? Hippocrate doit se retourner dans sa tombe, lui qui a posé les fondements de l’humanisme médical !
L’Académie de médecine vient de pointer les risques psycho-sociaux qui menacent ces enfants privés de père. Les pédiatres et les psychiatres nous alertent sur la souffrance de nombreux patients dans cette situation. Devenues adultes, certaines de ces personnes se rassemblent en associations, pour chercher inlassablement la trace du père manquant. Las ! Au lieu d’écouter ces voix raisonnables, Mme Buzyn déclare qu’elles sont « datées ». Comme si étaient datés les cadres anthropologiques qui dirigent le développement psychologique d’un enfant ! Au lieu de s’occuper du vrai problème de santé publique qu’est la stérilité (elle frappe aujourd’hui 10% des couples), notre ministre veut organiser et financer la fabrication technique d’enfants pour des personnes qui ne sont nullement stériles ! Une technique qui sera remboursée à 100% alors que la Sécurité sociale prend de moins en moins en charge des pathologies avérées ! Et dans le même temps, le gouvernement prétend se pencher sur les 1000 premiers jours de l’enfant, pour aider les parents dans leur tâche éducative ! Mais pour les aider, il faut d’abord les responsabiliser !
Les responsabiliser, c’est-à-dire leur rappeler que face à un enfant, l’adulte a des devoirs avant d’avoir des droits.