L’Assemblée nationale a adopté, en première lecture le 27 mai 2025, la proposition de loi instaurant un « droit à l’aide à mourir ». Derrière cette appellation euphémisante, c’est bien une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui s’organise. Le texte doit encore être examiné par le Sénat, puis revenir à l’Assemblée nationale en deuxième lecture et à nouveau au Sénat, pour une deuxième lecture aussi. Le processus est donc loin d’être achevé. Mais le cap est posé, et les lignes éthiques fondamentales ont déjà été franchies.
Le texte commence par un changement symbolique : il inscrit la « fin de vie » au sein du chapitre du Code de la santé publique consacré aux droits du patient (article 1er). Ce simple ajout sémantique produit une mutation profonde : l’acte de donner la mort devient un droit médical, au même titre que le droit au soin ou à l’information. En banalisant ainsi un geste létal, la loi opère un basculement éthique majeur.
Le cœur du texte réside dans la définition d’un nouveau droit : celui de recourir à une substance létale, soit pour l’administrer soi-même, soit pour qu’elle le soit par un médecin ou un infirmier si le patient ne peut le faire physiquement (article 2). Cette double possibilité — suicide assisté ou euthanasie — est englobée sous une appellation unique d’« aide à mourir », qui brouille la lisibilité des actes et affaiblit la responsabilité des soignants. C’est ici que se nichent les premières inquiétudes. Car les notions employées, comme celle de « phase avancée », restent floues et aucune définition médicale n’existe. Et la subjectivité du critère de souffrance rend possible l’accès à l’acte létal pour des personnes vulnérables mais non en fin de vie immédiate. Sont concernées donc des personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais pourraient vivre encore des années.
La procédure repose sur l’évaluation par un médecin, puis sur une décision prise à l’issue d’un processus collégial (article 6). Mais plusieurs garde-fous ont été écartés. Un médecin peut estimer inutile d’examiner la personne. Ce n’est donc pas une réelle collégialité, car les avis ne sont pas contraignants. Un délai de deux jours suffit entre l’accord et la confirmation de la demande. Une personne sous curatelle ou tutelle n’est pas exclue par principe du dispositif. La loi prévoit un droit de recours pour les personnes chargées de leur protection, mais dans un délai extrêmement restreint (article 12). Une personne sous curatelle ou tutelle ne peut pas signer un chèque, mais peut demander la mort.
S’ajoute une série de dispositions qui banalisent l’acte. Le jour J, la personne peut choisir son domicile ou tout autre lieu (hors espace public) pour recevoir la substance létale (article 7). Elle peut être entourée de ses proches, et le professionnel de santé présent n’est pas tenu de rester en permanence à ses côtés. Les produits létaux, préparés dans les pharmacies hospitalières, pourront transiter par les officines de ville (article 8). Autant de mesures qui diluent la singularité de ce geste extrême, en l’insérant dans le cadre banal des actes médicaux.
La clause de conscience est très limitée. Elle ne concerne que les professionnels directement impliqués dans l’acte, et ne protège ni les établissements de santé, ni les acteurs logistiques ou indirects. Ce que nous demandions — une clause élargie à tous ceux qui pourraient être associés à une procédure de mort, comme les pharmaciens — a été refusé. Pire encore, l’article 17 du texte crée un “délit d’entrave à l’aide à mourir”, qui fait peser la menace pénale sur toute parole d’accompagnement, de consolation, de soutien psychologique ou spirituel. Ce signal répressif est le symptôme d’un malaise profond : si cette loi était vraiment consensuelle, aurait-on besoin de faire taire les opposants ? Combien de soignants en soins palliatifs voient naître une demande de mort… et y répondent non par une injection, mais par un geste, un regard, un sourire ?
En instaurant ce délit, puni de deux ans de prison et 30 000 € d’amende (article 17), la loi criminalise la compassion. Elle transforme la main tendue en délit potentiel. Un proche qui dit « je suis là », une infirmière qui encourage à vivre, un prêtre qui offre l’espérance : tous pourront être accusés d’avoir influencé la volonté du patient. Ce n’est plus un encadrement, c’est une asepsie affective. La parole devient suspecte dès lors qu’elle n’épouse pas la logique létale. Les familles ne pourront plus proposer la vie sans être suspectées d’exercer une pression morale. Le soin, le lien, l’espérance deviennent juridiquement risqués.
Enfin, l’ensemble de la procédure sera intégralement pris en charge par la Sécurité sociale (article 18). Ce financement public, alors que nombre de soins palliatifs ne sont pas accessibles partout sur le territoire, traduit un choix de société. L’État consent à couvrir les frais d’un acte létal, mais pas toujours ceux du soulagement ou de l’accompagnement. Une telle logique interroge : la mort deviendrait-elle une réponse plus économique à la souffrance que le soin ou la présence ? Il sera plus facile d’avoir accès à l’euthanasie qu’à un rendez-vous médical, un médecin traitant, un spécialiste, un centre de soins antidouleur.
Au total, ce texte ne se contente pas d’ajouter un droit. Il redessine les contours mêmes du soin. Il substitue à la logique de solidarité une logique d’individualisme radical. Il transforme le médecin, non plus seulement en accompagnant ou en soignant, mais en opérateur d’un acte létal. Il isole la personne vulnérable au lieu de la relier. Il prétend lui offrir un choix, mais c’est un choix tragiquement marqué par la solitude, la fatigue, la peur de peser. Et pourtant, les données sont claires : 3 % des personnes entrant en soins palliatifs demandent à mourir. Au bout de 7 jours, cette proportion tombe à 0,05 %. La demande de mort est un cri face à l’abandon, à la solitude. Ce cri ne mérite pas une seringue, mais une présence.
La suite du processus parlementaire reste ouverte. Le Sénat peut encore amender ou rejeter ce texte. Et une deuxième lecture est prévue à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Le débat est donc loin d’être clos. Plus que jamais, il importe que les citoyens, les familles, les soignants, les parlementaires prennent conscience de ce que cette loi engage : non seulement un changement législatif, mais un bouleversement anthropologique.