Fin de vie

Des militants du « droit de choisir sa mort », des instances diverses – Comité consultatif national d’éthique, Convention citoyenne sur la fin de vie (organisée par le CESE)… – et des élus – dont le Président Emmanuel Macron et les députés Olivier Falorni et Yaël Braun-Pivet – souhaitent la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, c’est-à-dire de l’injection létale auto-administrée ou administrée pour un membre du personnel soignant.

D’après eux, la société devrait permettre à toute personne confrontée à une maladie grave et incurable de mourir au moment désiré. Leur postulat est qu’une personne malade, dépendante et souffrante aurait perdu sa dignité. « L’aide à mourir » permettrait à la personne de poser un « ultime acte de liberté » et de choisir le moment pour mourir.

Après un premier projet de loi tombé à la suite de la dissolution de juillet 2024, une proposition de loi a été déposée le 10 avril 2025 à l’Assemblée nationale par Olivier Falorni (qui est par ailleurs membre d’honneur de l’ADMD – l’Association pour le droit de mourir dans la dignité). Il sera examiné en 1e lecture à l’Assemblée nationale à partir du samedi 17 mai 2025.

Ce texte énonce les conditions d’accès au suicide assisté et à l’euthanasie. Le Syndicat de la Famille observe la grande fragilité de ces conditions, notamment à travers le critère de « maladie grave et incurable en phase avancée ou terminale ». Cette expression est aussi large que floue. Telle quelle, elle peut aussi bien concerner des maladies dégénératives que des maladies chroniques, des troubles psychiatriques ou une déficience intellectuelle d’origine génétique, comme la trisomie 21. On est bien loin de « l’exception d’euthanasie » qui avait été annoncée par le président de la République, et d’autant plus que les patients pourraient librement choisir entre le suicide assisté et l’euthanasie.

Quant au moment d’une éventuelle demande, elle pourrait donc se faire dès l’annonce d’un diagnostic, soit bien avant la fin de vie.

Une fois la demande faite (à l’oral seulement) et validée par le médecin (la décision n’est pas collégiale), la proposition de loi prévoit un délai de deux jours pour fixer la date de l’injection létale. Deux jours seulement pour confirmer la volonté de mourir. Deux jours qui peuvent correspondre à un moment de fragilité particulière pour le malade : l’absence d’un proche, un pic de douleur, une contrariété émotionnelle… 

Et si un membre de la famille – conjoint, enfant, frère ou soeur, parent – ou un soignant tente de dissuader le patient d’accélérer sa mort, il pourrait être condamné par la justice pour « délit d’entrave ».

A l’inverse, il n’est pas prévu de délit d’incitation pour protéger le patient d’éventuelles pressions, de militants associatifs, de proches ou d’autres. 

Pourtant, grâce aux soins palliatifs, qui sont un progrès extraordinaire, la médecine est capable de soulager les souffrances physiques et psychiques, quitte à sédater une personne si nécessaire.

Dans ce projet législatif, il y a objectivement une part d’idéologie importante : très peu de soignants, côtoyant au quotidien les malades et les mourants, sont appelés à l’aide pour mourir. Et quand c’est le cas, l’amélioration de l’accompagnement fait disparaître de telles demandes : elles sont en réalité des appels au secours, comme les médecins sont nombreux à en témoigner.

Quant aux familles, lorsqu’elles sont présentes, aimées et aimantes, leur proche en fin de vie ne demande pas qu’on accélère sa mort. Et réciproquement, la manière dont ce proche vivra ses derniers moments est décisive pour elles : le suicide est toujours une tragédie pour l’entourage familial, y compris le suicide assistée et l’euthanasie, comme l’a observé la suicidologie dans le cadre d’études* conduites en Suisse, au Canada et en Oregon (Etats-Unis).

Mais la dégradation de notre système de santé, la mise à l’écart du handicap, de la maladie et de la mort dans notre société, la méconnaissance et les inégalités d’accès aux soins palliatifs augmentent le malaise autour de la fin de vie, ce qui incite certains à penser que « l’aide à mourir » est une solution.

Les soins palliatifs, en effet, ne sont pas encore connus de tous les Français et ils ne sont pas encore accessibles partout en France. L’urgence législative n’est donc pas de légaliser l’injection létale. Elle est au contraire d’augmenter nos efforts pour intégrer les malades et personnes en fin de vie dans un système de santé à la hauteur de ce moment de vie, qui nous concerne tous.

La fin de vie reste toujours un moment de vie. La personne, toujours digne quel que soit son état de santé, est encore là parmi nous.

 

* Parmi ces études :

  • “Desire for hastened death: a research update” – Palliative and Supportive Care (2014)
  • Les proches impliqués dans une assistance au suicide. Par Murielle Pott, Julie Dubois, Thierry Currat et Claudia Gamondi (2011)
  • Vaiva G. et al., 2010, Impact de la tentative de suicide sur les proches du suicidant : premiers résultats de l’étude Imtap, 42e journée du Groupement d’étude et de prévention du suicide, Versailles.
  • Family involvement in decisions about life-sustaining treatment in advanced cancer” – JCO Oncology Practice (2006)
  • « Comprendre le suicide » Mishara, Brian L., et Michel Tousignant. Comprendre le suicide. Presses de l’Université de Montréal, 2004, https://doi.org/10.4000/books.pum.10630
  • Kimsma GK, van Leeuwen E. The role of family in euthanasia decision making. HEC Forum (2007);19:365-73.
  • Ganzini L, Goy ER, Dobscha SK. Why Oregon patients request assisted death?: Family members’ views. J Gen Intern Med 2008;23:154-7
  • Zala M. Chronique d’une mort volontaire annoncée : l’expérience des proches dans le cadre de l’assistance au suicide. Fribourg : Academic Press Fribourg, 2005

Avis du Syndicat de la Famille sur la commission spéciale sur la fin de vie



Depuis quelques jours, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale étudie le projet de loi relatif à l’accompagnement des personnes malades et de la fin de vie.

Ce texte, en deux parties, prévoit dans son titre 1 le développement des soins palliatifs et en son titre 2 la légalisation de « l’aide à mourir », autrement dit l’euthanasie et le suicide assisté. Dans les jours qui ont précédé le début de l’étude du texte, la Commission a auditionné des acteurs de la fin de vie. Médecins, professeurs, associations, philosophes, sociologues, ainsi que les responsables des cultes.

De manière générale et depuis que le sujet de la fin de vie est dans le débat public, le Gouvernement et une partie importante de la classe politique, comme les médias, traitent de manière partiale ce sujet. Ils mettent en avant un vocabulaire salvateur et compatissant réduisant l’acte euthanasique à un acte « d’amour » et de liberté.

Lors des auditions de la Commission spéciale, nous avons pu regretter le manque d’écoute des acteurs de la fin de vie ainsi que des soins palliatifs. Beaucoup de professionnels, notamment d’association (comme l’ADMD), ont porté une vision idéologique de la fin de vie et de « l’aide à mourir ».

À l’inverse, trop peu de professionnels travaillant quotidiennement avec des personnes en fin de vie ont été auditionnés. Cela montre bien que ce projet de loi est avant tout un projet idéologique ne relevant pas d’une nécessité de terrain.

Lorsque nous écoutons, dans des colloques ou des entretiens, ces professionnels de la fin de vie, nous remarquons le décalage profond qui existe entre le discours politique et la réalité. Oui le milieu hospitalier souffre, mais dans ces unités, le soin qu’apportent les soignants dépasse la seule médicalisation.

Le modèle français de la fin de vie peut exister et d’ailleurs, il existe déjà. Les unités de soins palliatifs sont des unités particulières où l’accompagnement humain rencontre une médecine de pointe. Chaque jour, la prise en charge des patients et de la douleur progresse.

Ces unités pour la fin de vie correspondent aux besoins de 99% de la population, seul 1% demande l’euthanasie. Et encore, bien souvent cette demande est un cri de désespoir face à la solitude, la souffrance et la peur. Une fois mieux pris en charge, le patient ne fait plus cette demande.

L’enjeu pour la fin de vie est de rendre accessibles les soins palliatifs à la totalité de la population française. 21 départements, en effet, n’ont toujours pas d’unité de soins palliatifs ! Le projet de loi présenté par le Gouvernement est malheureusement un des textes les plus libéraux, en comparaison avec les autres pays qui ont légalisé l’euthanasie.

Quelques exemples : la demande se fait à l’oral, face à un seul médecin, alors que la quasi-totalité des pays obligent à écrire cette demande et souvent devant le notaire ; la notion de « court et moyen terme » est impossible à définir médicalement et encore moins juridiquement ; la décision relève d’un médecin, sans collégialité ; la sédation euthanasique peut être pratiquée n’importe où, c’est-à-dire, dans un EPHAD, au domicile, en prison ou bien même dans un funérarium comme au Québec. Et enfin, il y a la possibilité pour un proche de poser l’acte euthanasique.

En plus de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, ce texte crispe tout le milieu médical. Les médecins demandent le volontariat, pour aller plus loin que la clause de conscience et ne rentrer à aucun moment dans le processus. Les pharmaciens eux aussi demandent à être protégés, car ils auront à préparer et à délivrer la substance létale.

Si ce texte crispe déjà le milieu médical, il crispera demain des familles entières, qui seront confrontées à cela. Avec la possibilité pour un proche de pratiquer l’acte, les familles se diviseront. À l’heure de la fin de vie, cette possibilité créera inéluctablement des tensions importantes. Et ce proche qui accompagnera la personne et posera l’acte euthanasique, quel sera son état sur le long terme ? Il pourrait nourrir des regrets et des angoisses pour le reste de sa vie.

Les personnes malades, souffrantes et en fin de vie subissent une pression due à leur état. Dans les derniers moments, l’accompagnement doit permettre de lever cette pression, pour que malgré la mort qui approche, la personne vive pleinement chaque instant.

Oui, la vie d’une personne malade est bien différente de nos vies. Souvent, elle se retrouve dans une fragilité extrême, nue face à son existence, dépendante et faible. Pour les hommes actifs que nous sommes, cet état peut être source de souffrance. Mais face à cette vie fragile, seul un regard aimant peut changer la considération que la personne porte sur elle-même.

Si la dignité de la personne est intrinsèque à sa nature, un sentiment d’indignité peut exister si l’autre détourne le regard. Défendre la dignité de la personne passe souvent par les actes du quotidien, des actes même anodins en apparence.

Face à une personne faible, ces actes du quotidien sont néanmoins signe de la considération que nous portons à leur existence, à leur vie et à ce qu’elles sont. C’est dans ces actes anodins que se révèle l’attention que nous portons aux plus vulnérables.

Les soins palliatifs portent comme une liturgie ces actes du quotidien. Faire qu’un soin du corps soit un moment d’échange et ainsi prendre le temps d’être là. La médicalisation de ces unités est dépassée par une humanité fondamentale. Les soignants vous diront que ces services ont une intensité de vie différentes, mais puissante.

Pour ce débat parlementaire, nous invitons les députés et les sénateurs à dépasser l’idéologie. Il y a pour cela un moyen simple et efficace : visiter une unité de soins palliatifs. Allez voir par vous-mêmes ce que demandent les patients malades et en fin de vie. Allez voir les soignants qui s’opposent massivement à ce texte, car il ne relève en rien de leur mission. Ces unités de fin de vie sont trop souvent inconnues et près de la majorité des Français ne connaissent pas les soins palliatifs.

Si vous prenez la direction de « l’accompagnement », ne pensez pas que cette loi résoudra le problème de la souffrance. Il y aura toujours des personnes qui souffriront et qui demanderont la mort, mais « l’aide à mourir » supprimera le problème en supprimant le patient.

La fin de vie touche chaque personne. Or, l’enjeu n’est pas de supprimer le problème, mais bien de le résoudre pour pérenniser un accompagnement à la hauteur de vie des personnes. Aidons les personnes en fin de vie à vivre jusqu’au bout. Nous pourrions presque dire que nous devons aider ces personnes à mourir, non pas en donnant la mort, mais en donnant la vie.

Vous voulez protéger la famille ?