Avis CESE – Fin de vie : faire évoluer la loi

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Quelques semaines après le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, le CESE publie son avis : Fin de vie : faire évoluer la loi. Sans surprise, cet avis est favorable à l’élargissement de la loi pour mettre en place « l’aide active à mourir » qui comprend le suicide assisté et l’euthanasie. 

 

Dans un premier temps, cet avis est surprenant, car il intervient après la Convention citoyenne, organisée par le CESE lui-même. Rappelons que cette Convention citoyenne se voulait, par la neutralité qu’engendre supposément le tirage au sort, un exemple de démocratie directe. Nous avons déjà dénoncé dans le décryptage du rapport de la Convention citoyenne la manipulation qu’a usé le CESE vis-à-vis des citoyens. Nous avons aujourd’hui la preuve que cette Convention citoyenne n’a pas pu se dérouler dans une parfaite honnêteté intellectuelle, du fait du positionnement du CESE. Il est déplorable de manipuler ainsi des citoyens sur un sujet aussi délicat et d’ériger cet exercice comme un modèle de démocratie.  

 

Sur le fond, maintenant, cet avis n’est guère révolutionnaire. Il reprend, avec le même manque de précision, les arguments sur la fin de vie, l’application de la loi Claeys-Leonetti et le droit de « choisir sa mort ». À travers 13 recommandations, le CESE réaffirme le manque d’application de la loi Claeys-Leonetti de 2016, l’inégalité d’accès aux soins palliatifs, mais surtout affirmer la nécessité d’élargir la loi vers une « aide active à mourir ». 

 

Dans tout ce rapport, nous observons la prédominance d’un vocabulaire inclusif très lourd. Partout, l’avis cherche à imposer le vocabulaire justifiant le paradigme. Nous pouvons lire comme titre de partie : « un projet humaniste d’une société solidaire, inclusive et émancipatrice » ou encore « le libre choix du chemin de fin de vie ». Nous pourrions penser que l’hyper présence de ce vocabulaire est anodine, mais bien au contraire, il est le signe d’un courant de pensée qui infuse cette institution et donc les prises de position. 

Plus encore, il y a autour de ces sujets un réel enjeu de sémantique. La présence permanente de ce vocabulaire vient masquer la réalité proposée. En changeant les mots ou en enrobant les concepts de ces mots clés, l’idée est bien d’adoucir la réalité avec le risque (et certainement la volonté) de ne plus savoir de quoi nous parlons. 

 

Ce glissement sémantique s’incarne dans cet avis à travers la notion de « droit à l’accompagnement de la fin de vie ». Nous pourrions penser spontanément qu’il constitue en un droit de pouvoir être accompagné. Dans un premier temps, cela est bien le cas ! Mais sous cette notion globale, le CESE impose aussi l’idée que l’AAM fait partie de ce « chemin d’accompagnement de la fin de vie ». Comprenons bien, à partir du moment où l’accompagnement est un droit, le patient aurait donc le droit de choisir comment il souhaite être accompagné. Cela jusqu’à « l’aide active à mourir ». 

 

De manière plus large, l’avis du CESE a pour titre « Fin de vie : faire évoluer la loi ». La question centrale de l’avis est déjà biaisée, car sur un sujet social, comme celui de la fin de vie, il ne faut pas questionner l’évolution de la loi, mais sa finalité. La loi Claeys-Leonetti ainsi que les soins palliatifs répondent à une orientation sociétale. Nous avons collectivement choisi de proposer un accompagnement général avec ce principe central : ce n’est pas à l’homme d’administrer la mort. 

L’avis du CESE et ses 13 recommandations ne sont là que pour justifier la proposition finale qui est l’ouverture de l’AAM. Il y a une utilisation malsaine du manque de développement des soins palliatifs et de la loi de 2016. Au lieu de chercher à répondre à ces manques, le CESE propose d’enjamber ces réalités et d’élargir la loi. 

 

Comme dans les autres rapports, l’argument qui domine est celui de la liberté de « choisir sa mort ». Encore une fois, si la motivation première est la liberté, nous ne pouvons pas justifier des mesures de sélection pour l’accès à l’AAM. D’ailleurs, en proposant un élargissement de la loi, le CESE cherche à réduire les inégalités : « Prenant comme exemples soins palliatifs et aide active à mourir, il a affirmé que plus dans une société il y a de solidarité, plus la demande d’autonomie peut être prise en compte. Le CESE réaffirme l’importance de la solidarité qui se traduirait par une ouverture accessible à toutes et tous, rompant avec les situations d’inégalité d’accès actuelles ».

Malgré l’affirmation d’un cadre strict pour contrôler les « bénéficiaires » de l’AAM, le CESE se positionne dans un objectif de réduction des situations d’inégalité. Mais il y a là un aveu terrible. L’ouverture de l’AAM à des personnes malades créera des inégalités avec les personnes qui souhaiteraient en bénéficier, mais qui ne sont pas « suffisamment » malades voire pas du tout. Que répondra le législateur face à ces personnes ? 

 

La deuxième remarque sur la citation ci-dessus, c’est le lien entre « solidarité » et « autonomie ». Il est évident que plus nous apportons un regard bienveillant sur une personne malade, plus cette personne sort de l’isolement. Mais ici, l’idée est bien d’affirmer que la solidarité passe par la possibilité de laisser le patient « choisir ». Nous devrons « accompagner » le patient « solidairement » dans le choix qu’il décidera. 

C’est un renversement des définitions communément admises ! Il y a ici l’incarnation du glissement sémantique que nous avons observé plus haut. La solidarité devient la valeur par laquelle nous devons justifier l’évolution de la loi. En bref, être solidaire, c’est éventuellement accompagner le patient vers le suicide assisté. 

 

Comme le rapport de la Convention citoyenne, cet avis devient la pierre angulaire de l’argumentation de nos parlementaires. Ils penseront éviter le clivage en s’appuyant sur les recommandations des citoyens et de la société civile ! Pourtant, le rôle du parlementaire n’est pas simplement d’inscrire dans la loi les nouveaux droits exigés par certains. Le parlementaire est le garant visible du contrat social qui nous lie tacitement. Ce contrat social est le fruit d’une unité philosophique des principes essentiels qui fondent nos relations sociales. Il serait dommageable que nos parlementaires ne saisissent pas l’enjeu social de ce futur projet de loi en considérant qu’il ne s’agit que d’un nouveau droit. 

Car cet élargissement signifie quelque chose pour les personnes malades et les patients en fin de vie. C’est le signe du renoncement à l’accompagnement de la personne jusqu’au bout. Et le « jusqu’au bout » n’est pas l’obligation de supporter la fatalité et la souffrance. Bien au contraire, c’est la signification de l’importance de la vie dans toutes ses formes et circonstances. Les soignants, dans les unités de fin de vie le répètent souvent : il y a, dans ces derniers instants de vie, une intensité de vie supplémentaire. 

 

Cet avis s’inscrit dans la continuité idéologique du travail de la Convention citoyenne. Nous déplorons les conclusions et les solutions que cet avis propose car nous considérons que la solidarité réside dans l’accompagnement global de la personne, avec une prise en charge de la souffrance, mais surtout un accompagnement social. Cet accompagnement est celui du corps médical, mais surtout des proches. Si notre société demande aujourd’hui l’euthanasie, c’est que, collectivement nous, abandonnons nos proches en fin de vie. Les gouvernements politiques les ont abandonnées avec l’absence de soins palliatifs efficaces, mais nous portons aussi la responsabilité d’avoir refusé de côtoyer la souffrance. Nous subissons aujourd’hui une gêne et un inconfort vis-à-vis des personnes qui souffrent. C’est dans ce mal-être que né l’idée que « choisir sa mort » serait un gain de dignité.

Seule la démarche des soins palliatifs peut préserver la dignité si précieuse de la personne humaine, y compris la plus fragile et vulnérable.