GPA : nouvelle arrêt militant de la CEDH – Analyse juridique

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CEDH, D.B. et autres contre Suisse, 58817/15 58252/15, 22 novembre 2022

Dans un arrêt militant du 22 novembre 2022, la troisième section de la Cour européenne des droits de l’homme exige la transcription de la filiation à l’égard du partenaire du père génétique d’un enfant issu d’un contrat de gestation par autrui.

Les deux premiers requérants, deux hommes de nationalité suisse liés par un partenariat enregistré, conclurent un contrat de gestation par autrui en Californie aboutissant à la naissance du troisième requérant en 2011 aux Etats-Unis. Ils demandèrent la transcription de l’acte de naissance américain, qui mentionnait les deux hommes comme parents, dans les registres de l’état civil suisse, ce qui leur fut refusé. Le Tribunal Fédéral, plus haute juridiction suisse, accepta la transcription à l’égard du père génétique mais déclara que l’interdiction de toutes les formes de gestation par autrui empêchait la reconnaissance d’un lien de filiation non génétique et que le contournement manifeste de la loi conduisait à une violation de l’ordre public. Les autorités ne pouvaient pas être contraintes d’accepter comme un fait accompli un lien de filiation établi par une fraude à la loi, sous peine d’encourager le tourisme procréatif et de rendre inopérante l’interdiction nationale de la gestation par autrui. Le Tribunal Fédéral observa en outre que l’intérêt de l’enfant était protégé par le droit suisse, qu’il avait la nationalité suisse, vivait avec les deux requérants, et que même le requérant avec qui le lien de filiation n’était pas reconnu avait des droits et des devoirs d’assistance envers lui.

Le 1er janvier 2018, une modification du code civil autorisa l’adoption par le partenaire enregistré et l’adoption du troisième requérant fut prononcée le 21 décembre 2018.

La Cour européenne accepte l’analyse du Tribunal Fédéral selon laquelle « le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait une fraude à la loi » mais n’en tire aucune conséquence (§92).

  • Un contentieux stratégique

L’affaire étant résolue depuis l’adoption de l’enfant, elle aurait dû être rayée du rôle, comme l’avait demandé le gouvernement.

La Cour refuse la radiation. Elle note qu’à l’époque du refus de la transcription, il n’existait aucun moyen de faire reconnaître le lien de filiation de l’enfant avec le commanditaire de la gestation par autrui, qu’elle nomme parent d’intention. Elle affirme « que l’objet des présentes requêtes – le lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui et les parents d’intention qui sont de même sexe et unis par un partenariat enregistré – met en jeu une importante question d’intérêt général, en particulier pour les États parties à la Convention qui n’ont pas adopté de lois permettant la reconnaissance du lien de filiation dans des circonstances similaires à celles qui se trouvent à l’origine de la présente affaire » (§37). En d’autres termes, elle affirme sa volonté de forcer les États à reconnaître la filiation à l’égard des commanditaires de gestation par autrui en l’absence de lien génétique.

Cette affaire s’inscrit dans une vague de contentieux stratégiques initiés par les groupes de pression LGBT, soutenus notamment par la Commission européenne. Plusieurs affaires comparables ont été portées devant la Cour de justice de l’Union européenne en particulier l’affaire CJUE 490/20 du 14 décembre 2021. La Cour de Strasbourg va cependant plus loin que les institutions de l’Union européenne puisqu’il s’agit ici de reconnaître une filiation établie dans un pays non européen.

  • La méthode des petits pas

La Cour s’appuie sur la jurisprudence Mennesson c. France (req. n° 65192/11, 26 juin 2014), dans lequel elle avait imposé la transcription de la filiation à l’égard du père biologique. Ensuite, dans l’avis consultatif no P16-2018-001 du 10 avril 2019, concernant toujours la famille Mennesson, elle avait exigé « une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la “mère légale” », celle-ci étant l’épouse du père biologique. Le moyen, adoption ou transcription, était laissé au choix de l’État. L’avis concernait cependant un cas particulier. D’autre part, selon l’article 5 du Protocole n16, « les avis consultatifs ne sont pas contraignants », même s’ils s’inscrivent dans la jurisprudence de la Cour. En outre, la Suisse n’a pas ratifié le Protocole 16 qui autorise ces demandes d’avis.

Dans la présente affaire, il s’agit du partenaire masculin du père biologique : la Chambre avance progressivement, pour aller vers des situations de plus en plus trangressives mais qui, par cette méthode des petits pas, semblent socialement plus acceptables.

Cet arrêt est par ailleurs en contradiction avec un arrêt récent, A.M. c. Norvège (no 30254/18, 24 mars 2022), où la Cour a conclu à la non-violation de la Convention par la Norvège malgré l’absence de reconnaissance juridique de la qualité de parent d’une mère d’intention qui n’avait pas de lien biologique avec un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger.

  • Fondements mensongers

Dès l’arrêt Mennesson, la Cour avait fondé sa décision sur un mensonge selon lequel le jugement américain établissant la filiation établie aux Etats-Unis n’aurait pas eu d’effets en France (Mennesson § 96). Ceci est faux : dans l’affaire Mennesson comme dans la présente, les enfants vivaient avec les “parents d’intention” dont l’autorité parentale n’était pas contestée et qui avaient même le pouvoir de les représenter en justice.

Dans la présente affaire, la Cour reconnaît que la « non-reconnaissance par les autorités suisses de l’acte de naissance n’a, en pratique, pas affecté la jouissance de leur vie familiale de manière significative » et que « les brèves allégations formulées devant la Cour, notamment relatives aux difficultés rencontrées par les parents à la crèche, à la maternelle et à l’école, ne sont pas assez étayées et, en tout état de cause, ne semblent pas assez sérieuses pour être considérées comme une ingérence disproportionnée ».

La Cour prétend toutefois que « durant presque 7 ans et 8 mois (demande de reconnaissance du 30 avril 2011, adoption prononcée le 21 décembre 2018), les requérants n’avaient aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation de manière définitive », or cela ne concerne que celui qui n’avait pas de lien génétique avec l’enfant, la transcription à l’égard du père génétique ayant été acceptée par le Tribunal Fédéral en mai 2015, en conformité avec la jurisprudence Mennesson. La Cour se fonde sur cette affirmation partiellement fausse pour constater la violation du droit à la vie privée de l’enfant en raison de la durée pendant laquelle sa filiation n’était pas établie (alors qu’elle l’était depuis 2015 à l’égard du père génétique), comme si à son âge il avait été concerné par le caractère symbolique de l’absence de filiation à l’égard du premier requérant. La Cour alloue 15000€ de dommage moral à l’enfant.

  • Rétroactivité

Comme le souligne la juge espagnole Maria Elosegui dans une remarquable opinion dissidente, l’interprétation de la Convention comme un instrument vivant ne permet pas de « remonter le temps en appliquant rétroactivement des principes juridiques qui n’étaient pas reconnus à l’époque pertinente et de constater une violation de la Convention à cette époque-là. À notre avis, la Suisse a été exposée à cette forme de rétroactivité par le présent arrêt, alors même que sa législation était déjà conforme dès 2018 à l’avis consultatif de 2019, et que le père d’intention avait déjà adopté l’enfant ».

Elle rappelle aussi que «  la Convention ne confère pas un droit à l’adoption en tant que tel, ni le droit d’avoir des enfants  ».

Cet arrêt très contestable devrait donc être renvoyé devant la Grande Chambre, comme l’avait été l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie (req. 25358/12).

 

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