Résolution du Sénat du 22 mars 2023 sur la proposition de règlement européen en matière de filiation

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Le 22 mars 2023, le Sénat a adopté une résolution sur la proposition de règlement européen en matière de filiation. Cette résolution était présentée par Dominique de Legge, dans un remarquable exposé des motifs décrivant le droit français et européen en la matière avant de procéder à une analyse approfondie de la proposition de règlement européen.

Cette proposition, présentée aux États membres le 7 décembre 2022 comme “une action clé dans la stratégie de l’UE en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ”, vise à instaurer une reconnaissance automatique par tous les États membres de la filiation établie dans un État membre, “quelle que soit la manière dont l’enfant a été conçu ou est né, et quel que soit le type de famille de l’enfant”. Pour cela, la proposition de règlement européen entend fixer des règles concernant d’une part la compétence, c’est-à-dire l’Etat auquel il revient d’établir la filiation, d’autre part la loi applicable, c’est à dire de droit national à appliquer aux questions de filiation. En outre, elle propose la création d’un certificat européen de filiation permettant de prouver la filiation dans tous les États membres. Elle soutient que ce règlement n’aurait pas d’incidence sur la compétence des États membres en matière de droit de la famille.

Utilisant le pouvoir qui lui est conféré par l’article 88-6 de la Constitution, qui lui permet d’émettre “un avis motivé sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité”, le Sénat a donc adopté un avis sous la forme de cette résolution qui, conformément à la Constitution, sera “adressé par le président de l’assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne”.

La résolution adoptée par le Sénat examine donc la proposition de règlement européen sous l’angle de sa conformité au principe de subsidiarité, énoncé à l’article 5 du Traité sur l’Union européenne, selon lequel l’Union ne peut intervenir que « si, et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union ».

Le Sénat commence par présenter la proposition de règlement puis formule un certain nombre d’observations concernant les insuffisances de l’étude d’impact et l’imprécision du champ d’application du texte, le risque d’empiètement de l’Union européenne sur les compétences des États membres, la remise en cause de l’équilibre trouvé par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique et enfin la délégation de compétence inappropriée à la Commission européenne.

Le Sénat souligne d’abord les faiblesses de l’analyse d’impact qui ne comporte pas d’étude de droit comparé permettant d’identifier et d’évaluer quantitativement et qualitativement les difficultés, et les contradictions sur le nombre de bénéficiaires de la réforme, l’exposé des motifs évoquant deux millions d’enfants tandis que l’analyse d’impact recense 103 000 personnes. Le Sénat déplore aussi l’imprécision de la rédaction qui touche même l’objectif du texte, la version française concernant la filiation, lien juridique entre l’enfant et ses parents, tandis que la version anglaise est relative à la parentalité, situation de fait désignant la volonté d’exercer un rôle éducatif qui ne s’accompagne pas forcément de liens de parenté ou d’effets juridiques. De même, alors que le texte concerne “tous les types de familles qui se trouvent dans une situation transfrontière au sein de l’UE” les “situations transfrontières” ne sont pas définies. En outre, alors que la proposition de règlement annonce exclure la reconnaissance de la filiation établie dans un pays tiers, elle la permet de fait. L’objectif et le champ d’application du texte ne sont donc pas clairement déterminés.

Concernant  le risque d’empiètement de l’Union européenne sur les compétences des États membres, le Sénat observe que, alors que les enfants concernés ont déjà le droit de circuler et séjourner librement sur le territoire des États membres de l’Union européenne, la Commission européenne souhaite imposer une reconnaissance automatique, une uniformisation et non une harmonisation du droit sans laisser la moindre marge d’appréciation aux États, bien qu’il n’y ait pas de consensus entre les Etats sur le sujet. Il souligne que le gouvernement français refuse toute reconnaissance automatique des filiations issues d’une GPA. Le Sénat rappelle que la compétence des États membres est première dans la définition du droit de la famille et de la filiation et estime que le choix de la Commission visant à imposer une reconnaissance automatique n’est pas respectueux de la répartition des compétences prévue par les traités.

Le Sénat note ensuite que l’intérêt de l’enfant, largement invoqué pour justifier la réforme, n’oblige pas à procéder à l’uniformisation du droit proposée ; celle-ci excèderait les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle requiert seulement que la filiation puisse être établie, par exemple par l’adoption. Cette solution a été transposée par le législateur français dans la loi de bioéthique de 2021 et, depuis, aucune difficulté n’a été recensée. La proposition de règlement remettrait en cause cet équilibre délicat qui permet de s’assurer de l’absence de trafic d’enfants et amoindrirait la portée utile des dispositions interdisant la GPA en France. La proposition de règlement invoque le principe de non-discrimination mais l’on peut s’interroger sur sa conformité avec d’autres principes fondamentaux comme l’inviolabilité de la dignité humaine, l’interdiction de faire du corps humain une source de profit ou le droit des enfants de connaître leurs parents.

Enfin, le Sénat observe que le texte délègue à la Commission le pouvoir de définir et modifier le contenu du certificat européen de filiation, délégation qui excède la possibilité offerte par les traités.

Le Sénat en conclut que la proposition de règlement n’est pas conforme au principe de subsidiarité.

 

Avec cette proposition de règlement, la Commission tente de s’immiscer dans le droit de la famille, qui ressortit au droit national, pour imposer à tous les États membres la reconnaissance de filiations contraires à la réalité et à leur droit interne, en particulier la filiation à l’égard de deux personnes de même sexe ou celle d’enfants né de gestation par autrui. Par cette position officielle sur le texte, qui sera transmise aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne, le Sénat s’oppose à cette tentative en exposant, par une analyse rigoureuse, les faiblesses du texte et l’atteinte à la souveraineté des États membres qu’il entraînerait. 

Cet avis motivé sur le non-respect du principe de subsidiarité est prévu par le droit européen qui oblige les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à en tenir compte et même, si un tiers des Parlements le jugeaient non conforme au principe de subsidiarité, à réexaminer le projet.

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